Pierre, silence et histoires : Le patrimoine vivant de la tour Murney

Laurie Weir

La tour Murney de Kingston a quelque chose de particulier qui fait que le temps se replie sur lui-même.

Les épais murs de pierre retiennent le souffle humide du lac Ontario. Les charnières en fer gémissent sans prévenir. Et lorsque le vent vient de l'eau, on peut presque entendre les bottes dans les escaliers ou le grincement d'un canon que l'on met en place.

Construite pour la guerre et façonnée par la paix, la tour Murney se dresse sur le littoral de Kingston depuis près de deux siècles, solide, têtue et légèrement étrange. Les résidents de la région vous diront qu'elle était censée s'appeler tour Murray, en l'honneur de sir George Murray, personnalité militaire britannique. Mais le terrain appartenait à la famille Murney, et le nom est resté. La pierre au-dessus de l'entrée porte encore le compromis : « MURNAY », gravé dans une sorte de haussement d'épaules colonial. Selon la Société d'histoire de Kingston, ce nom hybride est né de la transformation du « R » de « Murray » en « N », probablement par un tailleur de pierre local qui avait des idées bien arrêtées et qui disposait de peu de temps.

Cette année, la tour fête ses 100 ans d'existence en tant que musée, un siècle d'accueil des visiteurs dans son emprise circulaire. Mais bien avant que le public n'y pénètre, la tour faisait partie de la mémoire profonde du paysage. C'était un lieu de tension, de défense et de paix précaire.

Au début des années 1840, les tensions entre la Grande-Bretagne et les États-Unis reprennent de plus belle, cette fois au sujet du territoire de l'Orégon. Le slogan de campagne du président James K. Polk, « Cinquante-quatre quarante ou la guerre! », reflète les conflits fonciers qui agitent l'Ouest, mais l'objectif stratégique de l'Est est clairement orienté vers Kingston. Située à la jonction du fleuve Saint-Laurent, du lac Ontario et du canal Rideau, Kingston est considérée par les autorités britanniques comme la clé de la sécurité militaire et économique du Haut-Canada. C'est pourquoi, dans un élan de surcompensation impériale, elles ont construit des forts. En grand nombre.

La tour Murney est l'une des quatre tours Martello construites à Kingston entre 1846 et 1848, avec la tour Shoal, le fort Frederick et la tour Cathcart. Murney a été conçue pour surveiller l'approche ouest du port et l'arsenal naval voisin. Il n'a jamais vu un seul coup de feu tiré sous le coup de la colère, mais sa présence menaçante était suffisamment dissuasive pour maintenir une paix précaire.

La construction a commencé en février 1846 et s'est achevée en novembre de la même année, grâce à un exploit de l'ingénierie victorienne. Fabriqués à partir de pierre calcaire extraite localement, les murs font jusqu'à 15 pieds d'épaisseur du côté du lac, afin d'absorber et de dévier les tirs des canons. Le côté terre n'est épais que de huit pieds, sans doute parce que l'on s'est dit que si l'ennemi était parvenu aussi loin à l'intérieur des terres, il était déjà trop tard.

Les caractéristiques défensives de la tour comprennent un fossé sec, c'est-à-dire un fossé sans eau, qui entoure la base, et quatre caponnières (mini-bunkers s'avançant dans le fossé) avec des fentes pour les fusils afin d'empêcher tout attaquant potentiel de s'approcher confortablement des fondations. La plate-forme de tir située au-dessus contenait autrefois un canon Bloomfield de 32 livres capable de pivoter sur 360 degrés, parfait pour scruter le lac à la recherche d'envahisseurs ou, plus souvent, de bateaux et de canards égarés.

Pour l'anecdote : Alors que la plupart des tours Martello du monde ont été construites sans toit, les Canadiens ont dit « non merci » aux forteresses enneigées. Murney a été dotée d'un toit protecteur en bois en 1849, version canadienne pratique d'un modèle britannique.

Bien que ses défenses soient impressionnantes, la tour Murney n'a jamais connu le combat. Au lieu de cela, elle a vécu une existence plus tranquille, mais non moins complexe, en tant que caserne militaire. De 1848 à 1885, elle a accueilli des soldats du Régiment des carabiniers royal canadien, une unité composée en grande partie d'hommes ayant servi longtemps et considérés comme moins susceptibles de déserter. À son apogée, la tour a accueilli jusqu'à six familles. Elles partageaient l'étage principal comme lieu de vie commun, avec des feux de cuisine, des berceaux et des bottes de soldats, tous entassés dans une intimité aux murs de pierre.

L'une de ces familles a laissé une trace durable : Le sergent Thomas Pugh, sa femme Martha Mary et leurs sept enfants. Leur fille, Murney May Pugh, est née à l'intérieur de la tour en 1882 - un fait qui peut sembler charmant jusqu'à ce que l'on s'imagine accoucher dans un tambour de calcaire, avec une ventilation douteuse et un canon au-dessus de la tête. Murney May deviendra infirmière pendant la Première Guerre mondiale, une vie de service façonnée, peut-être, par ses débuts dans l'une des maisons familiales les plus étranges du Canada.

Après l'abandon de la tour par l'armée en 1885, elle est tombée dans l'oubli. Laissée aux éléments, elle s'est délabrée. Des pilleurs ont enlevé des briques du rez-de-chaussée et, lors d'un vol audacieux, ont même réussi à s'emparer d'un canon de 1 000 livres. La véritable tragédie s'est produite en 1921, lorsqu'une partie du toit détérioré s'est détachée lors d'une tempête de vent, blessant mortellement un garçonnet qui jouait à proximité. Cet événement a choqué la localité et l'a poussée à agir.

Pour l'anecdote : La poudrière de la tour a été construite avec des clous en bois plutôt qu'en fer pour éviter les étincelles. Ce niveau de soin est soit extrêmement réfléchi, soit extrêmement anxieux. Probablement les deux.

Selon la Société d'histoire de Kingston, c'est ce moment qui a déclenché les efforts de restauration du site. En 1925, la tour a rouvert ses portes en tant que musée, l'un des premiers exemples au Canada de préservation militaire menée par un groupe patrimonial local.

Aujourd'hui, la tour offre trois niveaux d'expositions immersives. Le rez-de-chaussée, ancienne caserne bruyante et couverte de suie, présente aujourd'hui des uniformes du XIXe siècle, des armes et des objets ménagers de l'époque de la garnison. Le sous-sol - frais et légèrement sinistre - comprend la poudrière et les caponnières, où les visiteurs peuvent jeter un coup d'œil à travers les mêmes trous de fusil que ceux utilisés autrefois par les soldats. Au sommet, la plate-forme d'artillerie abrite toujours les canons d'origine et offre une vue panoramique sur le port et le paysage urbain de Kingston.

Conseil aux voyageurs : Apportez un appareil-photo. La vue depuis la plate-forme de tir est l'une des plus belles photos de la ville, surtout à l'heure dorée, lorsque le calcaire s'illumine et que le lac s'immobilise.

Préférence pour les toilettes : La tour Murney ne dispose pas de toilettes publiques. Les installations les plus proches se trouvent au Richardson Beach Bathhouse ou de l'autre côté de la route, dans le City Park. Soyez prévoyant : les soldats du XIXe siècle se contentaient de pots de chambre, mais vous n'êtes pas obligé d'en faire autant.

En 2025, la tour Murney fêtera ses 100 ans d'existence en tant que musée, et il faut s'attendre à une foule d'événements commémoratifs. Parcs Canada, la Société historique de Kingston et d'autres partenaires locaux collaborent à l'élaboration de nouveaux outils d'interprétation et à l'engagement de la collectivité, et tout cela fait partie d'un rappel plus large que Kingston a toujours été plus qu'une jolie ville au bord de l'eau. Elle a été une forteresse, un foyer et un lieu qui se souvient.

Et pour ceux qui s'intéressent à des histoires plus importantes, la tour Murney fait partie des fortifications de Kingston qui, avec le canal Rideau, ont été classées au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2007. Ces murs de pierre sont donc reconnus dans le monde entier. Venez faire un petit voyage dans le temps selon un calendrier certifié au niveau international.

La tour Murney n'est pas tape-à-l'œil, mais elle est fondamentale. Elle a été utilisée, réutilisée, renommée et réinterprétée pendant deux siècles. Cette endurance, et le débat silencieux que suscite son nom, font partie de ce qui fait son importance.

Dernier conseil? N'hésitez pas à grimper dans la tour. Les escaliers sont raides, l'air est frais et les fantômes sont probablement amicaux. Probablement.

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